Textes

-->
 
-->
“Rafaële Ide est peintre, photographe et vidéaste. À l’origine de ses projets de création, c’est toujours le dessin qui ouvre les perspectives. Ses œuvres se déclinent, cheminent dans le temps et s’organisent en séries, où plusieurs médiums peuvent se rencontrer, se compléter. Ses livres d’artiste, réalisés en lien avec des séries, incluent des notes personnelles, textes, citations, offrant une approche de l’œuvre sous un format plus intime.

Au fil des années, certains thèmes de son travail croisent l’œuvre de grandes figures de l’art comme Cézanne, Léonard de Vinci, Le Caravage ou, dans le domaine contemporain, Louise Bourgeois. 

Le travail de Rafaële Ide naît également de points de rencontre avec l’œuvre d’écrivains ou de poètes tels que Francis Ponge, Pablo Neruda, François Cheng, Philippe Jacottet, Jules Verne…“
Muriel Peissik



"Ici, dans un temps ouvert, et comme multiple, se dévoile un monde – étrange, très proche pourtant, mais secret, invisible à un simple coup d’œil –, fait de plans et de passages, d’écarts et de renversements, d’accords d’ombres, de couleurs, de lumières et de reliefs, de surprenantes profondeurs. De même que l’on prête son attention aux choses, Rafaële Ide offre son regard et, en écho, quand le jeu s’y prête, nous le renvoie. En le posant là, puis ici, puis là encore, elle juxtapose, assemble – compose : c’est un iris blanc, le sable d’une allée, un accord de vert et de violet, un horizon, l’éclat blanc du ciel, une ancolie. C’est une rêverie consciencieuse, un abandon accueillant le hasard, et une maîtrise : le temps d’ouvrir et de fermer ces parenthèses au creux desquelles s’invente et se lève une ubiquité : cela même à quoi ouvre son don de double vue."

La Pionnière, revue n°1 – revue de littérature illustrée

Dominique Janvier


************

…/Avant que naisse en Occident la figure de l'arbre généalogique, la langue latine compare déjà la famille à un arbre. La lignée est une «souche, tronc, ou plante», ses descendants en sont les «rejets» ou «rejetons», ou la «semence».Son développement est décrit dans les termes de la multiplication des végétaux : «marcotter», «greffer»/…/ Certaines métaphores végétales de la filiation nous sont familières en français : on parle de «racines» ou de «branches» familiales, on se déclare parfois «de souche», et le schéma qui permet de représenter notre parentèle sous la forme d'un arbre généalogique nous paraît un accessoire indispensable à toute enquête portant sur les origines d'un nom ou d'une lignée/...

Marine Bretin-Chabrol  “L'arbre et la lignée“  2012 Éd. Jérome Millon
Dessins Rafaële Ide



…/ je me suis orienté vers une certaine fléxibilité. Plutôt que d’ancrer toute chose dans un point précis, je m’efforce de lui ménager un espace de liberté qui lui soit propre. Et quand je dis “point” ou “espace” c’est de temps que je parle, ainsi je travaille au sein d’une parenthèse temporelle/... /leur superposition dans le temps fait apparaître une dimension temporelle.
John Cage  “Je n’ai jamais écouté aucun son sans l'aimer: le seul problème avec les sons, c'est la musique.” Éd. La main courante 1998


 “Vues instantanées en séries, lacis de lignes convenablement brouillées, suspens entre un avant et un après, bref les dehors du changement de lieu que le spectateur lirait dans sa trace“
Maurice Merleau-Ponty “L'œil et l'esprit“ Éd. Gallimard 1964


************
des cadrés
(série Nemo)


“Les baigneuses“

En limite de l’air et de l’eau, les couronnes boudinées.
Au centre de l’anneau, on se glisse.
Calé sous les bras, entouré, porté, respiration sans appréhension.
Sous l’eau, les jambes s’agitent.
Dans une tentative de nage, le corps bascule en avant presque à l’horizontale. Les bras immergés simulent la brasse. De légères vagues donnent la sensation de se mouvoir.
La septième – plus puissante – combinée avec un déplacement du centre de gravité vers l’avant fait basculer le corps dans la position inverse à celle prévue par le manuel.
Sous l’eau, les bras s’agitent.
L’objet rempli d’air nommé bouée se coince, et maintient le bas du corps au-dessus de l’eau.
Tout autour, ondes de rires, on pense figure, maîtrise de la situation – à tort.



La tricoteuse“

Les clics et les clacs.
La tricoteuse solitaire ourdit son ouvrage.Une maille endroit, une maille envers.
Les mots s’enroulent en boucles autour des films de trame, maillons de chaîne à côte.
Aiguilles qui piquent.
La trameuse tricotisse l’étoffe, entrelacs de petites histoires intestines dans lesquelles elle tente d’enrober sa proie.
Aiguilles qui piquent.
Que la victime rétorque, au maillage s’emmêle un peu plus. Comploteuse comblée.
Frictions d’où on s’échappe en laissant quelques plumes.


  --->
“La groseille à maquereaux“

Un dîner en ville, assistance réunie selon ses activités pour rencontre enrichissante.
Discussions aimables ponctuées par quelques sujets plus impliqués.
Une enfant, dix ans environ, accompagne ses parents.
Repas d’adultes, l’enfant s’ennuie.
Le temps attendu du dessert. Salade d’ananas - fibres et transit, fruits de saison, fraises, framboises et groseilles à maquereaux.
Rejet de l’ananas ! Décision supérieure : alors il faut goûter la groseille à maquereaux.
Le maître de maison promptement se saisit du fruit. Entre pouce et index, l’approche de la bouche enfantine.
Voix douce et insistante : « goûte le fruit », entre Grimm et Lewis Caroll.
Soutien des parents au geste indécent.
Trahie l’enfant se ferme et s’enfuit.

Reprise des conversations.


  --->
Rencontre 2“

Au détour de ce qui semblait être un bouquet d’algues brunes,
ondulantes eaux troubles,
l’oval luminescent d’une face aux pupilles dilatées, surgit.

Regard en quête,
perplexes lèvres closes.

Maux en tête,
comme prise de fièvre, les doigts effleurent la tempe
la main fouille le crâne.
“Bonjour Monsieur Courbet“, en moins avenant.

Pâle,
le poète interroge l’abîme du miroir.


--->
À l’encre de seiche“

À l’encre de seiche
goutte à goutte vital
du geste de peindre
un instant suspendu.

La dispersion du liquide s’opère
jusqu’à l’entière dissolution.

Témoin de l’acte, la coulure hors cadre.


 --->
“Peinture à l’eau“

Tentatives, essais en urgence répétés, la main risque le geste. Quand on les a apprises et découvertes, il est des choses qui ne s’oublient pas, et pourtant ; attrapé le pinceau et l’angoisse monte de ne plus savoir. L’encre se perd comme la raison dans un liquide plus vaste et transparent.


 --->
Balais de chaises“

Francisco cherche assises.
Piero intègre la troisième dimension a fresco, révèle la profondeur.
Le monde est ainsi fait que, même en perspective, quatre pieds n’assurent pas un sol.
Francisco mit la chaise dans une gravure, s’en vint dans l’autre.   


 --->
“Midnight kills – eau de plume“

Valy mate ses clopes marque Export et se crée une identité. Jambes ouvertes : viens-y voir si tu l’oses, au monde en général.
Canal positif à flux tendu, couple rock et musique un peu moins “essaye-encore“ que ces dernières écoutes. On entendrait presque susurrée une esquisse de révolution – exquis frémissement.
Triangle et perpendiculaire, gun au percuteur amorcé, onde de choc en léger différé pour atomisation d’un kilo de plumes.
Patience, cela vient.  

 
 --->
“Évaluation de la perfection“

Avant même la conscience du genre, à peine une intuition, la poupée mythique fit son apparition.
En l’occurrence et par hasard,
total contraire de la propriétaire en métamorphose.
Mode de mère, époque oblige référent appuyé : c’est ça – suffit !
Image pour identification,

dans le flottement d’un âge confit de contradictions.
À chaque jour moins de poids,
record du ventre plat,
tentative de disparition.

Basculement de la fine à gauche.


 --->
 “Alice et Louise“

Alice glisse ses aspirations aux fonds salés
La souris casquée plonge toute étourdie.
- Mange-moi suggère le plancton
Pour passer l’interdit.
Nouvelle mise au format cheminée.
Les membres de la poupée rusent au portillon.
- Bois-moi intime l’amer
La voilà transformée,
La voilà grandie,
Sur ses jambes d’aplomb
Voilà Louise femme-maison.


 --->
“Ils l’ont fait“

Rythme accéléré, avalanche d’images, une information chasse l’autre “sans transition“, plus cadrée, plus zoomée, livrée sans analyse. Au cœur de l’événement avec les yeux des autres, le menu du jour mène la foule : la messe est dite !
L’étincelle : les Jumelles pulvérisées. Suivies des populations exterminées, du pulvérisateur assassiné, des pays anéantis - en direct - “ne manquez rien“ de la triste fictioréalité, c’est la vérité.

Alors l’indignation a gagné, les cubes aveugles ont été balancés par-dessus les autels dans les grandes profondeurs.

On aurait pu rêver.


 --->
Melencolia, border line“

Albrecht travaillait à l’équilibre des lumières, au choix éclairé des objets symboliques, de leur place selon leur sens. Le lévrier, grande silhouette efflanquée et pelée avait cessé d’errer pour enfin s’endormir, lové sur lui-même dans un angle de l’image. Le compas posait l’hypothèse d’un angle, le sablier épuisait les grains d’un temps que la meule ne parvenait pas à transformer en poussière, le polyèdre dégagé de la sphère s’était immobilisé.
La comète missionée par Saturne avait déclenché dissonances et contradictions.

Submergée par la vague venue de l’arrière-plan, la géante ailée se cale au bord de l’image, perplexe quant au nouvel ordre fluctuant de la composition.   



 --->
“Femme poisson et homme oiseau“

Effigie figée au buste polysexe, l’infini sfumato en arrière-plan laisse supposer.
À soulever le voile on trouve une queue, - de poisson sourd. Regard indifférent: 
- Articulez, s’il vous plait .

Pirouette en cornet de l’échassier qui passe :
- Qu’est ce qu’il a dit ?
- C’est dégueulasse.  
  

Posts les plus consultés de ce blog

COUP D'AILE 2023

Illusion d'optique 2022

Torrents 2024